
Jinjer revient en force avec un cinquième album profondément impacté par la situation géopolitique mondiale. Quatre ans après Wallflowers sorti seulement quelques mois avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, tout a changé pour le quatuor. À la fois confrontés à un succès grandissant et des tournées avec les plus grands noms de la scène, ainsi qu’à la guerre sur leur terre natale, la période a été pleine de hauts et de bas pour le groupe.
Duél est un pur produit de cette période trouble et du son unique de Jinjer qui s’est développé avec les années. Toujours mené par la voix brutale et d’une précision chirurgicale de Tatiana Shmayluk, le jeu de basse iconique de Eugene Abdukhanov, la puissance de la frappe de Vladislav Ulasevish et l’agressivité des riffs de Roman Ibramkhalilov, la promesse est au rendez-vous. Duél est un album technique, groovy, puissant et impactant.
L’album arrive très fort dès le premier morceau en reprenant tous les éléments caractéristiques du son de Jinjer, sans aucune introduction. L’album produit une fois de plus par Max Morton propose un mix original du son, très défini, qui permet d’apprécier toutes les nuances du jeu et de la voix. L’effet mur de son qui est partiellement sacrifié par une telle décision est largement compensé par l’écriture même des morceaux qui proposent une grande dynamique à travers les morceaux. C’est une direction artistique qui fait sens et qui est à contre-courant des standards modernes de l’industrie. Une décision fort appréciable en somme.
Tantrum (03:59) / Duél démarre brutalement. Tantrum (coup de colère) fait rentrer l’auditeur de force dans un univers violent qui résume à lui-seul un état d’esprit dans lequel le groupe a été au moment de l’écriture. L’agressivité et l’intensité du morceau ne se font pas au dépend du groove qui sont bien présents. Un pont à la basse particulièrement savoureux offre un instant de répit bienvenue qui termine de posé le décors de Duél.
Hedonist (03:46) / Hedonist est musicalement une suite logique à Tantrum. Le morceau se concentre sur une forme de critique du consumérisme et de la recherche de plaisir sans effort, sans penser aux conséquences de l’opulence. L’alternance de chant clair et saturé donne une très bonne dynamique au morceau et les 3 minutes 46 passent en un clin d’oeil.
Rogue (03:12) / Rogue est le deuxième extrait de Duél a avoir été révélé par Jinjer. Le morceau fait clairement référence à la guerre en Ukraine et on peut sans trop se projeter imaginer que le « Rogue » dont il est question est Vladimir Putin. Le morceau s’applique cependant à tous les conflits et au contexte international plus globalement entre l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Putin, le génocide palestinien à Gaza ou encore les plus récentes déclarations de Donald Trump entre annexion du Canada et du Groenland, déportation des migrants à Guantanamo ou transformation de Gaza en Côte d’Azur. Musicalement, le morceau est assez classique dans la discographie de Jinjer, pas de réelle prise de risque ici mais une formule qui fonctionne à merveille !
Tumbleweed (03:22) / Tumbleweed fait suite à Rogue en évoquant le sujet de la migration forcée. La chanson est une métaphore des populations déplacées par les catastrophe et souvent accueillies comme des indésirables par les populations locales. Le morceau est écrit comme une fable, prenant la nature comme toile de fond. Musicalement, le morceau est plus posé que le précédent avec un riff de guitare marché, comme le long cheminement des peuples évacués. La batterie donne un rythme bien plus soutenu et chaotique à cette fuite tout en maintenant un groove de haute volée. Un morceau qui offre plus de profondeur à chaque nouvelle écoute.
Green Serpent (04:01) / Green Serpent est le quatrième extrait de l’album à avoir été révélé. Le morceau parle d’alcoolisme et plus précisément de l’insidiosité de cette addiction. Le morceau propose un groove dissonant, comme une lente descente aux enfers, la métaphore musicale du propos du texte est merveilleusement réalisée du début à la fin. Les derniers instants du morceau sont particulièrement réussis et concluent ce morceau en offrant un répit court et instable au cœur d’un album très énergique, presque épuisant.
Kafka (04:09) / Le titre Kafka fait -au vu des paroles- référence à Franz Kafka, écrivain du XXè siècle dont l’œuvre symbolise le décalage et l’aliénation ressentis par de nombreuses personnes face à l’absurdité de la modernité. Le morceau est assez sombre dans son écriture, s’ouvrant sur un motif dissonant avec un rythme complexe mais posé. Cette premier partie donne le sentiment d’être perdu dans la musique malgré une simplicité apparente. L’agressivité initiale de l’album revient vers la seconde moitié du morceau, comme pour appuyer une forme de réalisation de l’absurdité : après l’incompréhension vient la colère. Il s’agit du troisième extrait de l’album, révélé en octobre dernier.
Dark Bile (03:40) / Dark Bile est un morceau qui paraît plus personnel et qui évoque l’anxiété et la mélancolie. Musicalement, le morceau est excellent mais c’est devenu une habitude pour Jinjer que le standard soit l’excellence.
Fast Draw (03:14) / Fast Draw peut faire référence à beaucoup de choses dans son texte, il est assez difficile sans éléments de contexte du groupe de comprendre exactement le sujet. La métaphore du duel et de Fast Draw qui pourrait revenir à « tirer le premier » peut autant s’appliquer aux relations entre la Russie et l’Ukraine pré-invasion qu’à une relation de couple toxique. Musicalement, la piste remet un coup de pied à un Duél qui malgré son lancement très agressif, se laisse le temps de se poser ponctuellement.
Someone’s Daughter (04:17) / Someone’s Daughter est le premier extrait de Duél qui a été révélé au public en août dernier. La piste – excellente musicalement, est-il encore nécessaire de le préciser ? – évoque la place de la femme dans la société actuelle. Plus précisément, le morceau parle des transitions par lesquelles passent les femmes qui doivent souvent emprunter des chemins construits par et pour les hommes. L’expérience de Tatiana Shmayluk dans l’industrie de la musique et plus précisément dans le metal qui forment deux univers très masculins et encore très patriarcaux sont entres autres dans les origines possibles à ce morceau. Le metal est, comme le cinéma, un milieu artistique où règne une omerta qui a tendance à mettre sous silence les victimes et glorifier les coupables ou à défauts les suspects. Le metal est perpétuellement secoué d’affaires sordides où l’innocence des artistes mis en cause est rarement prouvée.
A Tongue So Sly (04:25) / A Tongue So Sly pourrait justement faire suite à Someone’s Daughter en évoquant la façon dont certaines accusations dans les milieux artistiques sont détournées en tentant de rendre les victimes responsables. Les réseaux sociaux deviennent un tribunal publique où les victimes sont harcelées par les fanatiques des artistes mis en cause, sans que la vérité ne fasse jamais surface. Musicalement, le rythme lourd et lent du morceau lui donne un groove très satisfaisant avec toujours beaucoup d’inventivité dans les rythmiques de batterie et les riffs de guitare et de basse.
Duél (04:48) / Piste éponyme de l’album et dernier extrait révélé une semaine avant la sortie de l’album, Duél est aussi la piste la plus longue du projet. Musicalement, un des meilleurs morceaux de l’album, la composition est dans ce que le groupe a de mieux à proposer. Le morceau, comme Fast Draw plus tôt dans l’album peut symboliser de nombreux « duels » que chacun a à remporter. Le duel dont il est sujet pourrait être une forme introspective de duel contre soi-même pour avancer malgré les blessures. Tatiana Shmayluk avait confié à la presse ses difficultés à écrire pour cet album, ce morceau pourrait être sa réponse : un duel contre soi-même pour continuer à avancer malgré les difficultés.
Duél est une réussite complète. L’album, très politique, aborde des sujets complexes qui déchaînent les passions de parts et d’autres. Il est d’autant plus important qu’il est apporté par des personnes confrontées aux sujets évoqués : la guerre, la peur de demain, l’anxiété du quotidien, la place des femmes pour ne citer que ces sujets.
Musicalement, Duél est riche en contrastes, riche en dynamique, riche par sa composition et riche par l’identité très marquée du son de Jinjer. Chaque instrument est à sa place et la technique n’est qu’un outil au service du propos musical. On retrouve cet esprit qui a fait le succès de Gojira où instruments et voix sont là pour amener des textures et des ambiances plus que des mélodies. Cette façon unique de jouer apporte un contraste supplémentaire sur les passages où la mélodie prend le dessus. Au-delà du metal, cet esprit de textures et de mélange de textures surtout se rapproche de ce que peut faire Hans Zimmer également. Quand on cite Hans Zimmer et Gojira pour définir le son d’un groupe, est-il nécessaire d’ajouter quoi que ce soit pour imprimer l’idée que l’album est une réussite ? Probablement pas.
Personnellement, je n’attendais pas réellement cet album, je ne m’étais pas réellement penché sur l’univers de Jinjer plus que ça. J’ai écouté leurs précédents albums pour la réalisation de cette chronique et quelle baffe ! Cet album est une réussite du début à la fin et je n’ai qu’une hâte : une tournée européenne pour la sortie de l’album !
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Jinjer – « Duél »
Groove Metal Progressif · 42min53sec
7 Février 2025, Napalm Records
Production :
Produit par Dushan Petrossi
Mixé et Masterisé par Max Morton
Line-up :
Tatiana Shmayluk – Voix
Roman Ibramkhalilov – Guitares
Eugene Abdukhanov – Basse
Vlad Ulasevich – Batterie